La prison pour l’un des instigateurs du projet Lovaganza

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Mark-Érik Fortin, un des instigateurs du projet Lovaganza, au palais de justice de Longueuil jeudi

11 octobre 2024

Jus­tice et faits divers
Des inves­tis­seurs floués pour 50 millions

La prison pour l’un des instigateurs du projet Lovaganza

Après plus de 10 ans de démarches judi­ciaires, l’un des ins­ti­ga­teurs du pro­jet Lova­ganza, dans lequel des cen­taines de Qué­bé­cois auraient perdu 50 mil­lions au total, a été condamné à 18 mois de pri­son, peine jugée trop clé­mente par cer­taines victimes.

ISABELLE-DUCAS_LA-PRESSE

Isabelle Ducas

Jour­na­liste éco­no­mie – finances

Isa­belle Ducas – La Presse

Mark-Érik For­tin s’est fait pas­ser les menottes pour être emmené en déten­tion, jeudi au palais de jus­tice de Lon­gueuil, pour des infrac­tions aux lois enca­drant les inves­tis­se­ments au Québec.

Aucune accu­sa­tion cri­mi­nelle n’a cepen­dant été dépo­sée contre lui, mal­gré le fait que 75 inves­tis­seurs floués ont porté plainte à la police pour fraude en 2017.

Sa conjointe et coac­cu­sée dans cette affaire, Karine Lamarre, est quant à elle morte d’un can­cer en août der­nier, avant que la peine soit prononcée.

« J’ai tout perdu, ma mai­son, mon auto, mon couple, dans cette his­toire, ça a eu de gros impacts dans ma vie, alors je suis très déçu », a réagi Jean-Fran­çois Simard, qui a investi dans le pro­jet et a aussi tra­vaillé pour le couple For­tin-Lamarre au début du projet.

« Le juge a pour­tant dit qu’il n’y avait pas de réha­bi­li­ta­tion pos­sible. Je m’attendais à ce qu’il écope du maxi­mum de cinq ans. Mark-Érik For­tin s’est foutu des lois et du pro­ces­sus judi­ciaire pen­dant plus de 10 ans, et il va recom­men­cer quand il va sortir. »

« Il va être dehors après trois ou quatre mois », s’insurge un autre inves­tis­seur, Pierre Pilon, qui était au tri­bu­nal pour assis­ter au dénoue­ment de l’affaire.

Le pro­cès intenté au couple par l’Autorité des mar­chés finan­ciers (AMF) ne por­tait que sur les inves­tis­se­ments recueillis entre 2012 et 2014 pour les­quels ses enquê­teurs ont trouvé des preuves, soit 300 000 $. Pen­dant le pro­cès, 21 inves­tis­seurs ont témoi­gné qu’ils s’étaient fait pro­mettre des ren­de­ments attei­gnant jusqu’à 10 fois leur mise, et qu’ils n’avaient jamais été remboursés.

Mais le couple a pour­suivi sa sol­li­ci­ta­tion pen­dant toutes ces années, mal­gré l’interdiction décré­tée par le tri­bu­nal, ce qui a été consi­déré comme un fac­teur aggra­vant par le juge Marc Bis­son, de la Cour du Qué­bec, qui a pré­sidé ce long pro­cès. Il a d’ailleurs dénoncé les manœuvres des accu­sés pour faire traî­ner le pro­ces­sus judi­ciaire et « trom­per le tribunal ».

« VIE DE GRAND LUXE »

Encore au prin­temps 2024, Karine Lamarre et Mark-Érik For­tin sol­li­ci­taient des fonds et ont affirmé à des inves­tis­seurs poten­tiels qu’ils avaient recueillis 50 mil­lions depuis les débuts du projet.

« À quoi sert l’argent recueilli, si ce n’est que de leur per­mettre, à eux et à leurs aco­lytes, de vivre une vie de grand luxe avec l’argent des inves­tis­seurs ? », écrit le juge Bis­son dans sa déci­sion, qui fait plus de 60 pages.

Il dénonce le fait que les accu­sés ont demandé à des inves­tis­seurs de s’endetter, de ne pas payer leurs impôts et de reti­rer leurs fonds de pen­sion, s’adonnant à un « odieux chan­tage » en leur disant qu’ils seraient res­pon­sables de l’échec du pro­jet s’ils ne contri­buaient pas davantage.

Pour justifier la peine de prison, assortie d’une amende de 52 000 $, le magistrat a cité une longue liste de facteurs aggravants, alors qu’il n’a trouvé aucun facteur atténuant.

Lova­ganza était pré­senté comme un pro­jet de films à grand déploie­ment, des­ti­nés à finan­cer un pro­jet huma­ni­taire et une chaîne humaine autour du monde pour la paix, des évè­ne­ments qui ne se sont jamais concré­ti­sés alors qu’ils devaient avoir lieu en 2015.

Le couple For­tin-Lamarre était chargé du finan­ce­ment du pro­jet. Un autre couple, ori­gi­naire de la Rive-Sud de Mont­réal mais ins­tallé en Cali­for­nie, Jean-Fran­çois Gagnon et Gene­viève Clou­tier, devait se char­ger de réa­li­ser le pro­jet ciné­ma­to­gra­phique, mal­gré son absence d’expérience dans ce domaine.

FAUSSES PROMESSES

Depuis plus de 10 ans, Jean-Fran­çois Gagnon et Gene­viève Clou­tier voyagent par­tout dans le monde avec leurs enfants et leur nou­nou pour tour­ner des vidéos et des séquences de film et enre­gis­trer des chan­sons, grâce à l’argent des inves­tis­seurs, à qui ils pro­mettent des ren­de­ments miro­bo­lants le jour où une entente sera signée avec un grand stu­dio hollywoodien.

« Ils ont réussi, au fil des ans, à ber­ner tous les inves­tis­seurs avec de belles paroles et de belles pro­messes », déplore le juge, rap­pe­lant qu’ils ont faus­se­ment pré­tendu avoir l’appui de grands noms du cinéma, comme Ste­ven Spiel­berg, Matt Damon ou Jen­ni­fer Gar­ner. « Encore aujourd’hui, [Mark-Érik For­tin] tente de convaincre que le pro­jet est sur le point de se concrétiser. »

Jean-Fran­çois Gagnon et Gene­viève Clou­tier, aussi accu­sés par l’AMF, ont écopé de 600 000 $ d’amende en avril der­nier, après avoir plaidé cou­pable. Ces amendes n’ont pas encore été réglées ; ils ont demandé une entente de paie­ment, a confirmé le minis­tère de la Justice.

Le couple, qui a délaissé le nom Lova­ganza et se pré­sente main­te­nant comme JF & G, pour­suit ses acti­vi­tés. Il a dévoilé un album et une vidéo le mois der­nier. Il se trou­vait l’année der­nière en Ita­lie pour une séance de pho­tos et en Pologne dans un stu­dio d’enregistrement avec un orchestre symphonique.

Plu­sieurs four­nis­seurs et contrac­tuels ayant tra­vaillé pour le couple ces der­nières années, aux États-Unis et en Europe, ont affirmé qu’ils n’avaient pas été payés et ont engagé des pour­suites judiciaires.

L’AMF deman­dait une peine d’emprisonnement de 36 mois pour Mark-Érik For­tin. Son porte-parole, Syl­vain Thé­berge, s’est dit satis­fait de la peine. « Ça clôt le dos­sier pour la période visée », a‑t-il sou­li­gné, refu­sant de pré­ci­ser si l’AMF pour­sui­vait son enquête pour les années subséquentes.

Geneviève Cloutier et Jean-François Gagnon

PHOTO TIRÉE DU COMPTE INSTAGRAM JF & G RECORDS 

Gene­viève Clou­tier et Jean-Fran­çois Gagnon, qui se pré­sentent comme pro­duc­teurs, réa­li­sa­teurs et scé­na­ristes, sous l’appellation de « JF & G »

L’HISTOIRE JUSQU’ICI

2010 : Deux couples de la Rive-Sud com­mencent à sol­li­ci­ter des inves­tis­seurs, disant vou­loir pro­duire une série de films à grand déploie­ment, des­ti­nés à finan­cer un pro­jet huma­ni­taire et une chaîne humaine autour du monde pour la paix, et offrant un ren­de­ment pou­vant atteindre 10 fois les sommes investies.

Décembre 2015 : L’Autorité des mar­chés finan­ciers dépose 247 chefs d’accusation contre plu­sieurs diri­geants de Lova­ganza, qui conti­nuent tou­te­fois de recueillir des fonds.

Avril 2018 : Mark-Érik For­tin et Karine Lamarre plaident cou­pable aux accu­sa­tions de l’AMF, mais uti­li­se­ront plu­sieurs manœuvres pour faire traî­ner le pro­ces­sus judi­ciaire au cours des six années suivantes.

Mai 2024 : Jean-Fran­çois Gagnon et Gene­viève Clou­tier sont condam­nés à une amende de 600 000 $, alors que des inves­tis­seurs, qui sont tou­jours sol­li­ci­tés, apprennent que le pro­jet a recueilli 50 mil­lions depuis ses débuts.

Octobre 2024 : Mark-Érik For­tin est condamné à 18 mois de pri­son, deux mois après le décès de Karine Lamarre.